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Shark’s, As de Pique 

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Shark’s, As de Pique 

Plus ancien tatoueur du département de la Loire, Phil, plus connu sous le pseudonyme Shark’s, a vécu la démocratisation, l’ascension et les effets de mode de son art. Féru de musique depuis son plus jeune âge, il a aussi contribué, depuis les années 80, à répandre la bonne parole du rock, du punk et du garage au cœur de notre cité stéphanoise. Retour sur la carrière d’un éternel amoureux de l’aiguille. Par Julien Haro – Photo Niko Rodamel

Crédit Niko Rodamel

 

Lorsque l’on pénètre pour la première fois dans le salon Shark’s Tattoo, rue de la Résistance, on pourrait se croire dans un musée. Dans les vitrines, trônent impérialement d’anciennes machines, aujourd’hui obsolètes. Au mur, des affiches de concerts, souvenirs des innombrables soirées organisées par le maître des lieux. Car si Shark’s est aujourd’hui nationalement reconnu pour l’empreinte qu’il a d’ores et déjà laissée dans le monde du tatouage autant que dans la peau de ses clients, sa carrière est indissociable du monde musical.

« J’avais 11 ans en 76. Avec mes potes, on était perdu dans nos cités. C’était l’époque du disco et nous, on écoutait du hard rock et on découvrait le punk. Mon amour pour la musique est arrivé à travers ça, la découverte des Ramones, des Damned, des Dead Boys. » Pour le jeune Phil et ses amis, l’arrivée de cette nouvelle culture dans une France beaucoup trop sage fait l’effet d’une bombe qui, dans sa déflagration, disperse de nouveaux symboles d’identification, comme le tatouage.

Shark’s, une créativité inscrite sur la peau

« On était vraiment des mômes à l’époque. L’école, c’était pas notre truc, c’était pas fait pour nous. On était survolté, très créatif. » Cette créativité, la bande commencera à l’inscrire sur sa peau avec du matériel de fortune. Fils de couturière, Phil dérobe des aiguilles à sa mère, achète de l’encre de Chine et esquisse plus ou moins habilement ses premiers dessins sur son corps et ceux de ses amis. « C’était surtout des tattoos liés à la musique, des logos de groupe, des éléments de pochettes d’album et des trucs un peu provocants. Le A de anarchie autant que le rat de l’album Rattus Norvegicus des Stranglers, que j’ai encore. A l’époque, on ne pensait pas du tout en faire un métier.»

Son premier tatouage, Phil le réalise ainsi à l’âge de 13 ans. Et si le jeune homme comprend très vite que cette nouvelle démarche artistique va devenir l’une des grandes passions du reste de son existence, au sein du foyer familial, les esprits ne sont pas aussi ouverts. « Ça a été très mal pris à la maison. J’avais un conflit de génération avec mon vieux, donc, forcément, ça le dérangeait, tellement qu’il n’en parlait pas, sauf quand on se prenait le chou, bien sûr ! ».

Organisation de concerts

Au crépuscule de l’adolescence, Phil entretient toujours son amour pour la musique et commence par ailleurs à organiser ses premières soirées. « Le tout premier concert, c’était un concert entre potes qu’on avait organisé dans un centre social à Roanne. J’avais 18 ans et j’avais un petit groupe qui s’appelait… Shark ! » Un nom qui ne le quittera plus jamais. A cette époque, le jeune homme est paumé. Il sort d’une période très difficile et ne sait pas vraiment quelle voie emprunter. Déscolarisé jeune, et sans diplôme, Phil se tourne alors vers sa plus grande passion, le tatouage, et commence à l’envisager pour la première fois comme une réelle perspective de carrière.

« Le début était chaotique parce qu’il était très difficile de se procurer du matos en France. Ma première machine, c’était une machine rotative pour les animaux, pour les vétérinaires. Je commençais à bien prendre le pli avec. J’ai habité quelques temps à Paris chez des potes, on y allait pour la musique et le tattoo. Là-bas, il y avait Marcel, un vieux tatoueur très connu qui nous filait des conseils. Ça m’a bien donné envie mais c’était compliqué. Je n’avais rien du tout.»

De retour de la capitale, Shark’s se rencarde sur le prix des machines professionnelles mais se heurte aux problèmes de l’époque. Sans Internet, et sans statut professionnel, impossible d’acquérir le matériel nécessaire pour s’établir en tant que tatoueur. Il trouve un premier boulot alimentaire dans un magasin de disques sans jamais perdre de vue son rêve de devenir tatoueur pro. Jusqu’à ce que la providence fasse son œuvre.

A 23 ans, Shark’s démarre sa carrière de tatoueur

A force de recherches, Shark’s déniche dans un magazine de bikers une adresse aux États-Unis qui pourrait livrer le matériel nécessaire en France. Mais, encore une fois, l’argent lui fait défaut. C’est alors que la vie décide de lui filer un coup de pouce. « J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui me faisait confiance, un mec plus âgé qui a accepté de me prêter la thune et que j’ai remercié bien après. Sans lui, je n’aurais peut-être pas fait tout ça. »

A 23 ans, et après plusieurs années de questionnement, Shark’s peut enfin débuter sa carrière. La motivation est à son comble et il se donne à corps perdu dans son nouveau boulot. Ses journées, il les passe à dessiner, engrange de l’expérience et n’hésite pas à aller à la rencontre d’autres tatoueurs pour comprendre tous les rouages du métier, apprendre de nouvelles techniques et appréhender les protocoles d’hygiène et la stérilisation. Tout ce qu’il sait, il l’apprend sur le tas, en autodidacte. « On n’avait personne pour nous montrer, on n’a pas eu de mentor, pas de formation et internet n’existait pas. A l’époque, il y avait peu de tatoueurs mais certains acceptaient de nous expliquer deux, trois trucs. J’ai appris tout seul, en rencontrant du monde et en faisant des expériences sur mon propre corps.»

Nous sommes en 1988 et Phil ouvre sa toute première boutique dans les rues de Roanne, Shark’s Tattoo, déjà. Ils ne sont alors qu’une cinquantaine de professionnels dans l’hexagone. Mais au bout d’une année, Phil, désormais père, a la bougeotte. Roanne semble trop petite pour ce genre d’activité et il se rend compte que la majeure partie de sa clientèle vient de Saint-Etienne et des alentours. Décision est prise, Shark’s Tattoo s’installe chez les Verts.

Shark’s amoureux de Sainté

« A Saint-Etienne, c’était facile de parler aux gens, ils étaient curieux. C’était un milieu prolo que j’aimais bien. Et puis, culturellement, il y avait plein de trucs avec des lieux comme l’Entre-Pôts Café, le Mistral Gagnant ou le Vol de Nuit. Il y avait des concerts un peu partout. Du rock bien sûr, mais aussi du reggae, du dub et même déjà du hip-hop. C’était vraiment éclectique. Il y avait des magasins de disques et d’instruments partout. C’était une bonne ville pour moi. »

Les débuts sont compliqués, mais Phil s’accroche. A une époque où il est très dur de trouver un pas de porte pour les tatoueurs, tant la profession a mauvaise presse, il déniche un emplacement en bas du Crêt de Roch, ni trop visible ni trop inaccessible. Au fil du temps, la boutique Shark’s Tattoo changera plusieurs fois d’emplacement pour s’installer finalement rue de la Résistance et surtout s’ancrer durablement dans le cœur des Stéphanois comme le salon de tatouages emblématique de leur cité.

Ici, l’organisation de concerts, deuxième passion du tatoueur, ne sera pas en reste. Au cours des quarante dernières années, le natif de Roanne fera jouer plus de mille groupes et investira pour ses soirées de nombreux lieux de la contre-culture stéphanoise. Aujourd’hui encore, avec son association Nerfs à Vifs, le sexagénaire continue de faire battre le cœur de la scène rock en invitant régulièrement des groupes du monde entier à se produire à L’Entre-Pôts Café, place Jules Guesde.

Un ancrage réussi… Mais des évolutions à regrets

Un ancrage réussi, donc, qui n’empêche pas Shark’s de déplorer aujourd’hui les changements de mentalité du public et la diminution du nombre de lieux pour organiser des lives : « Le public est vieillissant et les gens sont moins curieux. C’est dommage. Il y a toujours de bons groupes mais le public suit moins, les gens veulent voir des grosses têtes d’affiche et laissent moins de place aux petits groupes. »

Des évolutions que Phil regrette également dans l’univers du tatouage qui, selon lui, a perdu une partie de son âme. « J’ai vu le monde du tatouage évoluer et je l’ai vu s’écrouler. C’est devenu un produit de consommation, loin de ce que j’apprécie vraiment. Mais c’est à l’image de notre société, on vit dans un monde superficiel. L’authenticité a quasi disparu.»

Rien qui, pour autant, pourrait le conduire à raccrocher : « Je n’ai pas envie de retraite mais de tranquillité. Je n’aime pas le monde dans lequel on est maintenant et je n’aime pas ce qu’est devenu le tatouage, mais j’aime ça, faire des tattoos et organiser des concerts. Les deux sont de vraies passions qui m’ont permis de rencontrer plein de gens, de voyager, qui m’ont fait découvrir d’autres cultures et ça, ce n’est pas négligeable. Alors, tant que je ferai plaisir aux gens et que je me ferai plaisir, ça ira.»

 

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