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Photo : Sainté fait de la résistance

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Photo : Sainté fait de la résistance

À l'heure où des millions d'images déferlent quotidiennement sur les réseaux sociaux et où l'IA apporte son lot de questionnements, nous avons voulu savoir comment se vit et se porte la photographie ici, à Sainté... Qui semble faire de la résistance. Dossier décryptage, par Niko Rodamel
modèles appareil photo, illustration

Ils sont nombreux, photographes ou fauxtographes, à publier des images un peu partout sur la toile, sur Instagram ou Facebook, à nourrir des sites web et remplir des galeries en ligne… Parmi ce flux incessant, combien d’images sont des photographies ? Qui pratique la photo de façon régulière, réfléchie et dans quel but ? Le débat est ouvert…. 

Dès la fin des années 90, les premiers appareils numériques grand public encourageaient le geste photographique en le simplifiant, et l’avènement du pixel avait déjà fait naître la fausse idée très répandue que « tout le monde est un peu photographe ». L’immédiateté du résultat, la possibilité de « corriger » certains défauts sur ordinateur et la facilité de partage des fichiers sur internet, ont ainsi relancé, démocratisé et au final décomplexé l’acte photographique. 

À Saint-Etienne, le monde de la photo cohabite sans prise de tête

Dans la Loire comme ailleurs, en photographie, la frontière entre professionnels et amateurs avertis est mince, poreuse… Le métier de photographe a la particularité de pouvoir être exercé par à peu près n’importe qui : puisqu’aucun diplôme n’est nécessaire, il suffit de quelques clics pour obtenir un numéro de SIRET auprès de l’INSEE. Pour autant, il va de soi qu’un équipement onéreux et une série de 14 chiffres sur un papier officiel ne suffisent pas. L’excellent Gorafi rappelle ironiquement que « selon une étude, prendre des photos floues mal cadrées en noir et blanc ne ferait pas de vous un photographe talentueux » ! 

S’il demeure un fossé entre celui qui est fier d’avoir réussi quelques images et celui qui s’inscrit dans une démarche professionnelle, il semblerait pour autant qu’à Saint-Etienne tout ce petit monde cohabite sans prise de tête, se croise et se côtoie sans se toiser. Ici, la course aux pixels n’est pas un but en soi et jouer à celui qui a le plus gros objectif n’apporte rien. Le peuple stéphanois reste photographiquement humble, ouvert à toutes les pratiques artistiques, avec même un côté bricoleur, chineur, expérimentateur. Au final, il y a peut-être à Saint-Étienne autant de démarches photographiques que de photographes. 

Profession mise à mal

Mais, si la simplification des outils a véritablement placé la pratique à la portée de tous, elle a dans le même temps mis à mal une profession autrefois reconnue, puisque disposant d’une compétence que les autres n’avaient pas. Pire, en province, et notamment par chez nous, le marché restreint, et le pouvoir d’achat trop juste ne permettent pas à tous les photographes, même valeureux, de vivre exclusivement et décemment de la photographie commerciale ou de la photographie artistique d’auteur. De nombreux professionnels ligériens ont donc accepté de pratiquer leur art en parallèle d’une activité principale, censée faire bouillir la marmite familiale. Certains panachent entre plusieurs activités, pour ne s’enfermer dans aucune et conserver une forme de liberté. 

Photographe stéphanois d’expérience, Louis Perrin fait ainsi partie de ceux qui partagent leur temps entre plusieurs pans de la photographie pour parvenir à en vivre : gestion de l’espace dédié JEITO qu’il a créé il y a tout juste un an rue de la Résistance à Saint-Etienne, piges pour la Ville au sein d’un pool de quatre photographes, mariages, prestations corporate diverses… Un planning bien chargé, au milieu duquel le photographe court après le temps en espérant pouvoir reprendre bientôt le cours de ses séries personnelles.

Photo : allier commerce et pratique ?

Mais, si durant longtemps, de nombreux passionnés comme Louis Perrin ont pu allier leur pratique à la gestion de boutiques dédiées à la photographie, ce ressort économique semble avoir lui aussi pris du plomb dans l’aile. En deux décennies, les commerces spécialisés dans la photographie ont en effet fondu comme neige au soleil dans tout le bassin stéphanois : la maison Cizeron rue George Teissier, Studio Guy rue Michelet, Le Shop Photo rue de la République, Com.Une Im@ge (ex Pitiot) rue du Onze Novembre, ont un à un baissé leur rideau. 

Philippe Costamagna, qui a travaillé dans le magasin de la rue Michelet jusqu’à sa fermeture, témoigne : « Le passage de l’argentique au numérique a été soudain, mais nous avions encore une clientèle de personnes âgées réfractaires aux nouvelles technologies. J’ai beaucoup aimé cette période où la vente était d’abord du conseil, internet commençait à peine à concurrencer les magasins. ».  

S’ils veulent poursuivre leur activité, les commerçants doivent ainsi non seulement apporter aux passionnés les conseils personnalisés qu’internet ne peut pas fournir, mais également, se renouveler et innover. 

Au Chambon-Feugerolles, le Studio Gonnet est sans doute l’un des plus anciens magasins photo de la région. Repris et rénové par Frédéric Zullo en 2007 et dirigé par Pierre Charmet depuis 2019, la boutique est un véritable repère pour les photographes passionnés qui viennent échanger connaissances techniques et conseils pratiques. Au-delà de la vente de matériel photo-vidéo neuf et d’occasion, Pierre et son équipe organisent un salon annuel dans la salle de la Forge, des workshops au gré des nouveautés de chaque grande marque et, pour la première fois, un voyage. Du 5 au 20 mai une dizaine de photographes s’envoleront ainsi pour l’ouest Américain, accompagnés par le formateur Christian Vérot qui leur a concocté une formation pratique axée sur la photographie de paysage.

Temps long

Reste que, dans cette révolution qu’a entrainé la démocratisation de la pratique, la résistance de la photographie face à la surabondance de l’image semble s’organiser, sur notre territoire, par le retour au temps plus long, par la réflexion quant au geste photographique, et in fine, par la technique. Pour preuve, le numérique n’a pas enterré l’argentique, loin de là.

En témoignent la forte présence de la pellicule dans les clubs photos et le succès de JEITO, entièrement dédié à l’analogique : « Nous développons les films couleur ou noir & blanc, avec la possibilité de scanner les négatifs. Depuis peu nous proposons un service de tirage, du 10×15 au A4. Après des débuts timides, les ateliers, pour lesquels Jean-Pierre Rigaud m’apporte son aide, ont désormais décollé, le travail au labo plait beaucoup. La vente de matériel argentique d’occasion marche plutôt bien, en boutique mais aussi en ligne sur notre site. Les acheteurs sont plutôt des jeunes qui ont la vingtaine ou la trentaine, je les oriente vers des compacts, les fameux point and shoot qui sont très bien pour débuter. Les quinquas ou quadras qui ont pratiqué la photo numérique reviennent vers l’analogique par nostalgie, avec l’envie de retrouver d’anciennes sensations, les molettes, la manipulation de la pellicule, le temps long… », détaille Louis Perrin. JEITO photo est aussi un lieu d’expositions, animé par Louis et le photographe Maxime Pronchéry, et chaque vernissage rassemble une foule de passionnés.

Culture photographique

Parmi les argentiques addicts, Georges Maurin est l’un de ces photographes amoureux des beaux boitiers, avec une préférence pour les marques Leica, Nikon ou encore Polaroïd. Ses publications témoignent d’un talent certain pour les nus artistiques aux ambiances troublantes. Au gré de ses envies, Georges achète et revend des appareils exigeants qu’il aime expérimenter et pousser dans leurs retranchements. 

C’est aussi le cas de Maxime Pronchery et de Bernard Toselli qui ensemble, ont produit une série de photographies panoramiques sur les plages normandes, Une vague divagation empreinte de mélancolie contemplative. Les deux photographes expérimentent depuis quelques années le format panoramique avec différents boitiers, du Hasselblad Xpan à l’Horizon 202 en passant par le Pix Panorama, un petit appareil tout-plastique dépourvu de réglages. Maxime et Bernard ont comme autre point commun celui d’entretenir une riche culture photographique, à travers les ouvrages qu’ils s’échangent et les expositions qu’ils écument de Paris à Lausanne en passant par Arles. 

© Bernard Toselli

Outre l’argentique, dans tout le département, les procédés anciens ont également le vent en poupe, comme en témoignent les nombreux ateliers d’initiation proposés par des artistes qui parfois en ont fait une spécialité. Sur les hauteurs d’Usson-en-Forez, Philippe Hervouet maîtrise pour sa part l’ambrotype (collodion humide sur verre) et le cyanotype, très en vogue depuis quelques années. À Saint-Étienne, le Géo Trouvetou de la photo se nomme Jacques Prud’homme. L’appartement de cet ancien graphiste est envahi de matériel photographique, des appareils de toutes sortes qu’il connait tous par leur petit nom. Jacques s’est fait connaître avec ses étonnants sténopés déformants, produits à l’aide de cannettes de boisson savamment bricolées, respectant des temps de pause d’une autre époque. Une approche atypique dont le résultat est tout simplement bluffant. 

Le hightech au profit du grain

Et, tandis qu’avec les immenses progrès du numérique, les images produites peuvent paraître parfois trop lisses, trop propres, certains photographes cherchent à retrouver l’esthétique de la photo argentique tout en utilisant un matériel high-tech, jusqu’à n’utiliser que leur smartphone. Comme Patrice Barrier, Rémy Perrin, journaliste-photographe pour La Tribune-Le Progrès, publie régulièrement des photos faites au smartphone sur son compte Instagram dédié au noir & blanc.

© Patrice Barrier

Les deux hommes font partie de cette grande famille de photographes qui allient la praticité du photophone à l’esthétique argentique, un grain retrouvé via des applications telles que Hipstamatic, TinType ou Retrica. On retrouve dans les images de Patrice et de Rémy tout le charme de la photo rétro au service d’une démarche de street photography, en prise directe avec la rue et les visages qui la peuplent. 

Et l’IA dans tout ça ?

Ancrant les photographes dans une véritable démarche artistique d’auteur, ces différentes réflexions quant au geste semblent qui plus est actuellement nécessaires. Jusqu’aujourd’hui, l’immense majorité des photographies étaient réalisées par l’entremise d’un photographe utilisant un procédé plus ou moins technique. Mais voilà, la course à l’innovation qui anime le monde de la photo depuis deux siècles semble soudainement dépassée par l’arrivée de l’IA, dont les balbutiements laissent déjà place à une forme de méfiance, pour ne pas dire d’inquiétude. 

Tout en préparant l’exposition « Les formes fugitives – un autre regard sur le sport » lors d’une résidence de création à la Maison du Passementier (Saint-Jean-Bonnefonds), Anthony Faye s’est intéressé aux limites de la photo générative. À partir d’instructions minimales en anglais, le photographe a produit des images sur le thème du sport avec le concours du générateur DALL-E. Les résultats, majoritairement masculins et bodybuildé, vecteurs de clichés sexistes, ont mis en lumière la manière parfois affligeante, dont les sports sont perçus par l’IA, ses entraîneurs… et peut-être la société.

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