Toujours plus fou, toujours plus loin, toujours plus grand, le délire de l’Entourloop dépasse aujourd’hui largement le cadre de nos frontières… Alors, comme plein de gens, quand le collectif revient sur ses terres, on fait la queue et on prend son billet, forcément. Parez au décollage, attachez vos ceintures, et rendez-vous en Banging hip hop Yardie world.
Textes et photos : Cerise Rochet
C’est une histoire qui n’est pas vraiment faite pour être racontée de manière chronologique. Parce qu’il serait difficile d’arriver à dater les choses avec précision. Et puis, parce que focaliser son attention sur les dates, c’est avant tout se concentrer sur une époque, faite de codes, de standards, de modes. Rien qui ne colle vraiment avec l’Entourloop en somme, tant le collectif façonne justement sa démarche artistique hors des normes, laissant les envies, références, talents de chacun de ses membres enrichir toute sa production. Non décidément, cette histoire-là, c’est une histoire de fond qui colle avec la forme, bien plus qu’avec un calendrier… Et ce bien que le leur, ces derniers mois, n’ait pas laissé derrière lui beaucoup de cases blanches.
Depuis le lancement de leur tournée au tout début du mois d’avril, les Stéphanois n’ont en effet pas eu trop le temps de se poser. Un troisième album, plébiscité dès sa sortie début juin, avec, dessus, 20 titres et 32 collaborations, pour 33 millions de streams Spotify et des auditeurs issus de 182 pays. Plus de 60 dates, à travers la France, l’Europe, le Maroc, dont un bon paquet de complets. Huit clips complètement ouf, et des millions de vues à la clé. 2022, année de tous les records ?
Année qui aura surtout permis à l’Entourloop de s’imposer encore un peu plus comme une calotte artistique, vectrice de fête et de joie. Année achevée samedi dernier à la maison, au milieu des copains, dans un grand moment d’euphorie collective digne d’une qualif’ pour une demi-finale de coupe du Monde. Oh… Wait ? Ah ah.
En quête d’un moment d’exultation
Ce samedi soir-là, le match n’est pas encore terminé, mais le Fil est déjà bien blindé. Un peu plus d’un millier de Stéphanois qui exceptionnellement préfèrent la musique au ballon rond ? Étrangeté possiblement révélatrice de ce que l’on s’apprête à assister à une soirée locamente caliente, malgré une température extérieure avoisinant en ressenti les -853 degrés. Pour beaucoup d’ailleurs, il s’agit tout simplement de « celle de l’année ». Enfants en bas âge remisés chez les grands parents, CB toutes prêtes à s’envoyer une ou deux tournées (six ou sept en fonction des cas), groupes de potes qui se forment et se déforment au gré des vas-et-viens puisque tout le monde se connait… Après s’être tranquillement laissé ambiancer par Tching Tchong Crew, puis Little Big Man puis Iseo & Dodosound, ceux qui n’y sont pas encore foncent ainsi s’agglutiner dans la grande salle, prêts à vivre le grand moment d’exultation qu’ils sont venus chercher. Ils ne seront pas déçus. En coulisses, au même moment, l’excitation est par ailleurs tout aussi intense.
Une date à domicile comme celle-là, pour des artistes stéphanois, c’est toujours un moment un peu particulier. Dans la semaine précédant le concert, les gars de l’Entourloop, tous réunis autour d’une table à l’occasion d’une interview, l’avaient d’ailleurs confié : « Ici, c’est plus de pression qu’ailleurs. Tu joues devant tous les gens que tu connais… En plus, on a invité les personnes qui comptent, et qui ont été présentes pour nous à un moment donné. Forcément, on a envie d’être à la hauteur, parce qu’on veut rendre à Sainté ce que Sainté nous a donné ».
“On a envie d’être à la hauteur, parce qu’on veut rendre à Sainté ce que Sainté nous a donné”.
Et au rayon de ce que Sainté leur a donné… Sans grande surprise, on trouvera en première place le sens du collectif. Parce qu’en venant d’ici, miser sur le groupe « c’est un bon moyen de s’en sortir ». Parce qu’ici, tout le monde ou presque a ça dans le sang. Pour faire court : parce qu’ici à Sainté, le collectif, ça a juste quelque chose d’évident.
Avant eux, d’autres musiciens ont d’ailleurs su tirer profit de ce mode de fonctionnement. « On a beaucoup suivi, beaucoup observé ce qu’a fait Dub Inc avant nous. Leur force tirée du groupe nous a beaucoup guidés ».
L’Entourloop, bien inspiré, a ainsi dupliqué le modèle, à peu de choses près. Un noyau dur pluridisciplinaire, dont les graphiste, photographe, vidéaste, manager, sont des membres à part entière, au même titre que les deux papis beatmakers, créateurs des sons et visages – ridés – connus du public. Une participation active de chacun, dans tout ce qui est entrepris, quel que soit son talent et son domaine de compétence initial. Une indépendance conservée grâce au contrat de licence signé avec un label – ce dernier commercialise la musique, mais les droits restent la propriété du groupe.
« Le noyau, c’est 6 personnes. Mais l’Entourloop, ça peut être finalement 20 personnes, tant il y a de gens qui travaillent avec nous. Techniciens, diggers, MC, musiciens… Chacun de nous donne son avis sur tout ce que l’on créé, des sons aux images, en passant par les décors, les clips… Absolument tout. Et pour faire un choix, il faut que tout le monde soit d’accord. Ce collectif, on le met systématiquement en avant mais ce n’est pas une stratégie, c’est juste nous, même si ça détonne un peu dans une époque qui valorise plutôt les individualités. Tout cela créé de la discussion parfois animée, mais c’est avant tout très stimulant, ça génère de l’émulation. »
Et de cette émulation, résulte aujourd’hui le style totalement singulier, la patte inimitable, qui font de l’Entourloop un collectif d’artistes tout à fait à part dans le paysage musical français, voire, international. L’esprit du groupe, c’est aussi la possibilité du mélange, devenue l’essence qui fait tourner le moteur pour permettre aux Stéphanois de voguer de projet en projet. Avec leur Banging hip hop Yardie style*, les deux papis aux platines, King James et Sir Johnny, ont élaboré une recette qui donne inlassablement envie de passer à table : une dose de hip hop, une dose de reggae, un soupçon de dancehall, le tout saupoudré sans modération de diverses collaborations avant d’être envoyé en cuisson.
Croisant sons d’hier et de demain, analogique et numérique, samples, trompette, chant et toasting, web 2.0 et ambiance rétro, musique, répliques de films et matière visuelle bourrée de références, l’Entourloop ne laisse absolument rien au hasard : chez eux, tout, absolument tout ce qui est produit devient prétexte à l’art et au partage d’un petit bout de l’univers qu’ils ont créé… des clips aux affiches de concerts, des photos du crew au merchandising, des pochettes d’albums aux projets en fermentation.
Dans le monde qui est le leur, rien de ce qui est entrepris n’est gratuit, tout se justifie. Une discipline en sert une autre, au profit d’un tout profondément cohérent.
La scène, et tout se met en branle en même temps
Alors, quand vient pour eux l’heure de la scène… Le public en a très largement pour son argent. Bercé par la culture des soundsystems, l’Entourloop fait partie de ceux que le live place au-dessus de la mêlée. A peine le noir se fait-il, samedi dernier dans la grande salle du Fil, que chaque petit fragment de ce qu’est artistiquement le collectif s’imbrique dans le suivant, pour que tout se mette en branle en même temps.
Papi et papi derrière leurs machines. Les voix, les sauts, les mains en l’air des MC Troy Berkley et Blabbermouf, la trompette et les pas de danse chaloupés d’Nzeng à l’avant. Les LED qui fracassent l’obscurité, les titres des morceaux qui s’inscrivent sur un écran vidéo. Les panneaux levés en l’air pour guider le public façon speakerine ou vieille réclame. Les ballons lâchés du ciel sur la fosse qui se démène. Un photographe qui tantôt traverse la scène l’œil derrière son appareil, tantôt fait valser des décors multifacettes-montés-sur-roulettes. Une fois de plus, tout est justifié, tout est montré, rien n’est caché. Si l’Entourloop aime entretenir une part de mystère, pas d’esbrouffe pour autant : le collectif revendique son goût prononcé pour l’artisanat ; jamais mieux servi que par soi-même, surtout quand soi-même a le savoir-faire.
« Ce collectif, on le met systématiquement en avant même si ça détonne un peu dans une époque qui valorise plutôt les individualités ».
Et puis il y a le drapeau. De nouveau, c’est le photographe, qui s’y colle, agitant face aux spectateurs le manche immense au bout duquel est accrochée la flamme orange et noire qui vogue à présent dans les airs. Un drapeau qu’on agite… Comme pour dire aux gens « soyez les bienvenus dans notre monde ».
Enracinés à Sainté depuis toujours, les gars de l’Entourloop en ont désormais très largement dépassé les frontières. Au point d’avoir choisi comme point de chute leur propre galaxie, joyeuse, festive, accueillante pour tous, pourvu que l’on partage une envie d’être ensemble pour de grands moments d’euphorie, de lâcher prise et d’enchantement. Comme tout au long de la tournée 2022 qui vient de s’achever, samedi dernier, au Fil, ça a d’ailleurs drôlement partagé. Des sourires, des pas de danse, des jumps, des mains levées. Des rigolades, des demi-litres de bière, des décilitres de sueur. Une « soirée de l’année » qui pour une fois, aura raflé au foot l’exclusivité de la communion. Amen.