Les Mécanos labourent depuis six ans le patrimoine oral français et occitan, se réappropriant avec ferveur des répertoires régionaux sauvés de l'oubli par la tradition orale. Dix gars, dix beaux barbus en bleu de travail, liés par une amitié forte et la pratique périlleuse du chant polyphonique a cappella. Mues par une ferveur contagieuse qui prend sur scène tout son sens, les voix et les percussions relient les luttes d'antan à celles d'aujourd'hui... Nous avons rencontré deux des dix chanteurs, Sylvère et Simon, alors que le groupe finalisait la création de son nouveau spectacle. Texte et Photo Niko Rodamel
L’idée originelle avait germé dans la tête de Sylvère vers la fin de l’année 2017. Le gamin de Haute-Loire est devenu un adulte curieux de tout, étudiant en sociologie et trompettiste classique. Lors d’un voyage en vélo qui lui fait traverser les Pyrénées, le jeune homme rencontre le spécialiste des musiques méditerranéennes Pascal Caumont et découvre, avec les polyphonies occitanes, une pratique musicale totalement différente de celle qu’il pratique depuis des années.
Les Mécanos : une histoire de copains
A son retour, Sylvère réunit trois copains, Rémi, Martin et Jérémie. « Sans prétention, on a commencé à se réunir régulièrement pour chanter, dans mon salon à la Ricamarie. Très vite on a senti le besoin d’être plus nombreux et de tirer vers le haut notre niveau de chant ! » Chacun des quatre compères se met alors en quête de nouveaux chanteurs, sollicitant les amis musiciens, parfois les amis d’amis. On fait des essais, certains repartent mais au final, six nouveaux membres rejoignent le groupe : Simon, Gael, Antoine, Jonathan, Benoit et Guillaume.
Simon précise : « Après avoir constitué le groupe des dix, il aura quand même fallu plus de deux ans avant de nous imaginer monter sur scène et professionnaliser le projet. Jusque-là, le simple plaisir de nous retrouver et de chanter ensemble nous suffisait. On reprenait des chants traditionnels venus du sud-ouest de la France mais aussi du Québec. » Un déclic se produit à l’issue d’un stage de chant occitan dirigé par la chanteuse Lutxi Achiary, que les garçons sont allés rencontrer à Bagnères-de-Bigorre, près de Tarbes. « On a alors produit pour la première fois nos propres arrangements. De fait, la couleur musicale du groupe a commencé à prendre forme. »
Les Mécanos : chants populaires et percussions à molettes
Premier enregistrement du groupe sorti en 2021, l’EP éponyme aligne cinq titres chantés tant en français qu’en occitan, parcourant les régions de France, de la Haute-Savoie à l’Auvergne en passant par la Champagne-Ardenne. Si, à la première écoute, on peut penser à la grande époque de Malicorne, aux ritournelles des Fabulous Trobadors ou encore aux complaintes de I Muvrini, Les Mécanos imposent déjà leur signature, leur marque de fabrique : point de biniou, zéro flûtiau, aucun instrument mélodique.
Du chant et des percussions, point barre. Polyphonies vocales et contre-chants s’appuient sur un instrumentarium éclectique, fait de peaux et de métaux, confrontant tom basse, grosse caisse, güiro ou sagattes à différents objets détournés tels que clés plates, jantes, bidons et autres pots d’échappement. Avec de faux airs de Tambours du Bronx, les dix complices se tiennent debout, disposés en arc de cercle.
« On a pris l’habitude de se placer comme ça pour se voir et s’entendre. Le chant polyphonique implique de rester en permanence très attentif aux autres. » L’usage de l’occitan n’est pas anodin : Les Mécanos tentent de renouer avec un passé local pas si lointain et souvent méconnu. Simon explique : « On sait bien qu’à Saint-Etienne l’industrie a fait venir des gens de toute la France. Les langues régionales se sont donc mélangées. Par exemple, le parler gaga vient très probablement de l’arpitan. Le Massif Central se trouve sur la frontière de la langue d’oïl au Nord et de la langue d’oc au Sud. Sur le plateau de la Haute-Loire, l’occitan était encore la langue maternelle de nos grands-parents. »
Ni dieu ni maître
Avec leur tout nouvel album, Usures, Les Mécanos enfoncent le clou grâce à dix titres qui parlent aux tripes. « C’est un assemblage de textes traditionnels que l’on a mis en musique, de mélodies existantes que l’on a réarrangées, mais surtout de chansons entièrement écrites et composées par le groupe. » Au-delà de la prouesse vocale et de la force rythmique, les textes des Mécanos interrogent la société actuelle par le prisme de notre propre passé historico-familial. Du blues cotonnier à la capoeira afro-brésilienne en passant par le maloya de la Réunion, on le sait, « la musique est un cri qui vient de l’intérieur ».
A leur manière, les dix compagnons racontent une certaine vision du monde. Chaque chanson semble ici traversée par un message sincère et profond. Le poing levé face à toutes les formes d’inégalité, d’injustice ou d’oppression : chants de travail, de grève et de lutte, hymnes anti-guerre, satires politiques et religieuses se mêlent aux chansons à danser ou à boire. Dans la mêlée, Les Mécanos rendent hommage au passé industriel régional, aux mineurs stéphanois et aux canuts lyonnais, clin d’œil aux classes ouvrières où l’on fait de la musique sans l’avoir étudiée.
Au sein même du groupe, tous n’ont pas les mêmes origines sociales ni même le même niveau de formation musicale. « On s’amuse parfois à débattre de légitimité, même symbolique, car on n’est pas forcément tous petits-enfants de mineurs, d’ouvriers ou de paysans. Or, quand tu viens d’une classe populaire, devenir artiste ne coule pas de source. »
Du studio à la scène
Au fil des années, Les Mécanos ont perfectionné leur mode de fonctionnement créatif. « Puisque chaque membre du groupe apporte un peu de son parcours personnel, chacun peut proposer une mélodie ou un texte. Les propositions passent ensuite à la moulinette du collectif car tout est forcément digéré et décidé à dix. » Après un travail par pupitres qui cloisonnent les tessitures baryton, basse et ténor, les arrangements vocaux sont aujourd’hui davantage pensés par assemblage de timbres. « Le fait d’être dix offre une infinité de combinaisons, c’est à la fois une richesse et une difficulté ! » explique Sylvère.
Les Mécanos, Sainté, la France, l’Europe et le monde
Pour la création de leur nouveau show, Les Mécanos ont justement bénéficié de plusieurs semaines de résidence, peaufinant le son jusqu’aux plus petits détails et bouclant la création des lumières. La setlist reprend bien entendu les titres du nouvel album, que viennent compléter les plus anciens. « Nous avons pensé un show qui n’est pas du tout un copier-coller de l’album, l’approche du travail en studio étant finalement assez différente de celle dédiée à la scène. Même les nouveaux titres ont été réarrangés spécifiquement pour le live. Il faut penser les enchaînements, les ruptures, la place des solos… »
En une poignée d’années, Les Mécanos se sont produits un peu partout en France… Mais aussi en Belgique, en Catalogne et au Portugal. Programmé au Canada par le SunFest, le groupe donnait trois concerts en Ontario durant l’été 2023. Après une release party au Fil, Les Mécanos seront le 25 janvier à Montbrison et le 14 février à Saint-Martin-la-Plaine.