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Ella & Pitr : « En quête d’un déséquilibre »

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Ella & Pitr : « En quête d’un déséquilibre »

Après plus de quinze années de dessins, peintures et collages à travers le monde, l’emblématique duo stéphanois formé par Ella et Pitr s’est lancé dans un nouveau projet un peu fou. Présenté en octobre à La Comédie, leur premier spectacle Fermez les yeux, vous y verrez plus clair est une ode au geste de peindre, bercée de l’humour grinçant et de la poésie qui ont fait leur succès. Rencontre avec deux artistes multi-casquettes, unis dans un même mouvement.  Propos recueillis par Cerise Rochet

Vous créez en octobre votre tout premier spectacle… On ne vous attendait pas forcément ici, c’est un pari osé pour deux artistes reconnus…

Pitr : Et ça nous ressemble, du coup ! En fait, dans notre travail, on est toujours en quête d’une certaine forme d’inconfort, de déséquilibre, y compris lorsqu’on peint. Dès que l’on sent que l’on flirte avec la routine, on fait en sorte de la casser. Nos Géants sont nés de ce besoin de déséquilibre par exemple. 

Ella : Et puis, on a toujours été très ouverts aux différents supports, tant que la création nous amuse. Le mouvement intérieur de notre duo est le même avec ce spectacle que ce qu’il est quand on peint. 

Votre spectacle, Fermez les yeux, vous y verrez plus clair aborde le thème de la peinture… Mais il ne s’agira pas exactement d’une pièce de théâtre, avec des répliques et des dialogues…

E&P : Alors, non, ce ne sera pas une pièce en effet, on n’aurait peut-être pas l’aisance pour cela. C’est un spectacle dans lequel on met en scène la jubilation de l’acte de peindre, la joie de manipuler de la matière. Notre rapport à la peinture a toujours été très ludique, et on avait envie de partager cette sensation-là avec un public. On voudrait parvenir à donner envie aux spectateurs qui nous verront sur scène de prendre notre place. 

Partager avec un public… Il s’agit donc aussi d’une manière d’entrer en contact avec l’autre ? 

Ella : Le contact avec l’autre, c’est de toute façon notre moteur, quel que soit le support. Certains peintres peignent parce qu’ils ont quelque chose à dire, sans se soucier de la réception de ce qu’ils ont peint. Et c’est très bien, c’est une manière d’exister en tant qu’artiste. Nous, en revanche, on a toujours peint pour jouer avec l’autre. Le dessin, pour nous, c’est en réalité une forme d’expression pour entrer en contact avec celui qui regarde. Et pour créer ce contact, finalement, tous les prétextes sont bons… 

"Dès que l'on sent qu'on flirte avec la routine, on fait en sorte de la casser"

Ella & Pitr

Et à la fois, le fait que votre spectacle soit taillé pour être joué en salle, alors que l’on sait que plein de gens n’en franchissent pas les portes, rendra nécessairement votre création moins accessible que vos dessins dans la rue. En tout cas, elle sera moins vue…

Ella : C’est vrai qu’il est très frustrant pour nous de nous dire que tout le monde ne verra pas ce spectacle, même si on espère fort qu’un travail de médiation permettra de réussir le pari du plus grand nombre. D’autant qu’on a vraiment créé quelque chose de très grand public, pour tout le monde. 

Pitr : Et à la fois, peut-être aussi que le public habitué des salles de théâtre n’est pas forcément un public qui connaît bien la peinture, ou l’art urbain. Alors, peut-être que des gens vont nous découvrir grâce au spectacle… D’un autre côté, oui, on fait des dessins dans la rue. Oui, la rue est sans doute l’espace dans lequel tu peux t’adresser à un maximum de monde, c’est le lieu le plus accessible qui soit. Mais combien de personnes passent chaque jour devant nos dessins sans les regarder ? Peut-être même sans les voir ? La rue, c’est un espace où l’on passe, et où l’on n’est pas forcément attentif à notre environnement… 

Vous avez dit plus tôt que le mouvement intérieur de votre duo était le même, quel que soit le support. Est-ce vrai aussi de votre processus créatif ? Vous êtes-vous appuyés sur les mêmes ressorts que lorsque vous dessinez ?

Ella : Ce n’est pas du tout la même manière de travailler. Créer un spectacle, ce n’est pas du tout quelque chose de spontané. On a beaucoup, beaucoup cherché. On a passé beaucoup de temps à juste regarder le plateau, en attendant qu’une idée nous vienne. On avait plein d’envies au départ, on se disait que l’on pouvait tout se permettre, et en fait, le plateau a toujours raison. On a testé plein de choses, et finalement, ce que l’on a créé est très différent de ce que l’on projetait au départ, mais en même temps, maintenant, on est au plus proche de ce que l’on est. 

Pitr : On a enlevé beaucoup de choses, par rapport aux idées et aux envies que l’on avait au départ. Moi, par exemple, je voulais vraiment qu’il y ait un barbecue. Et en fait, on a eu beau essayer, on n’a pas trouvé l’espace, le moment, où il pourrait s’intégrer. Donc, j’ai dû renoncer. On a éliminé toutes les envies qui passaient par-dessus le propos. 

Ella : Il fallait garder le cap. Veiller à ce que ce que l’on proposait ne soit jamais une démonstration, ou un enchaînement de ce que l’on sait faire. 

Pitr : Finalement, c’est la technique théâtrale qui a cadré le squelette. A présent que l’on a ce squelette, nous reste à trouver le rythme, pour enfin trouver le confort, être à l’aise, se sentir bien dans le spectacle. 

"On a passé beaucoup de temps à regarder le plateau, en attendant qu'une idée nous vienne"

Cette mécanique, différente de ce dont vous avez l’habitude, est-ce qu’elle a éprouvé votre duo, qui a quelque chose de très instinctif dans sa manière de fonctionner avec la peinture et le dessin ?

Ella : Disons que ça a été une expérience douloureuse, qui nous a mis à mal. Mais comme pour un accouchement, si les représentations se passent bien, alors, on oubliera les souffrances. 

Pitr : Dans un spectacle, le spectre des choix est super vaste. Et ça, ça a impliqué d’en passer par une remise en question de notre manière de travailler à deux. Et ça n’a pas été simple à vivre, en effet. 

Ella : En fait, tout au long du processus de création, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas forcément les mêmes envies artistiques pour ce spectacle. Donc on est passé par des moments d’intenses crispations. Et puis, on est arrivé avec notre manière habituelle de fonctionner. On a toujours voulu tout faire nous-mêmes, en bricolant. Et en fait, pour créer un spectacle, ça ne fonctionne pas. On a fini par le comprendre, mais il nous a fallu du temps. On a finalement fait appel à un regard extérieur, et c’est ce qui nous a aidés. A partir de là, chacun peut avoir ses idées, chacun peut avoir ses envies, chacun peut ne pas être d’accord avec l’autre, mais à un moment, quelqu’un tranche. 

Pitr : Lorsqu’on peint, on a un algorithme, le nôtre, qui fonctionne en continu. Mais il ne pouvait pas fonctionner dans la création de ce spectacle. On a dû en trouver un autre. 

Votre spectacle sera joué durant une semaine, du 8 au 12 octobre. Et ensuite ? Vous travaillez déjà à sa diffusion ? 

Pitr : On va déjà jouer… Puis évaluer ce que l’on a fait, nous demander si c’est bien, ou si ça ne l’est pas. Est-ce qu’on parviendra à l’assumer au plateau ?

Ella : Il faut aussi comprendre qu’on est arrivé de nulle part, avec notre envie de créer un spectacle. On n’a pas du tout de réseau dans le milieu du théâtre, et pourtant, on est jusque-là extrêmement soutenus, notamment par les structures stéphanoises et ligériennes, -mais pas que – et on sait que c’est une chance. C’est ce qui a fait que l’on a pu travailler dans des conditions optimales, avec de supers-outils. Et donc, depuis le début, on avance vraiment par étapes. Aujourd’hui, ce qu’on veut, c’est arriver à un spectacle dont on est content. On ne veut pas forcer la diffusion.

Pitr : Ce que l’on peut dire malgré tout, c’est que notre envie était de créer un spectacle. Pas cinq. Pas dix. On n’est pas dans une dynamique d’une compagnie de théâtre. On ne sait pas ce qui arrivera par la suite, mais ce spectacle-là est construit pour pouvoir évoluer avec nous. Par exemple, on ne voulait pas intégrer de bombes de peintures, ou de rouleaux, dans notre squelette. Pas d’outil. On ne voulait pas que la création soit ringarde dans deux ans, donc, on a fait en sorte que, si demain, dans une version différente de ce spectacle, on a envie de peindre avec une chaussure, on puisse le faire. Rien n’est figé. C’était l’objectif. 

Le barbecue trouvera donc peut-être sa place dans une version future… 

Pitr : pourquoi pas !

 Fermez les yeux, vous y verrez plus clair, de et avec Ella & Pitr, du 8 au 12 octobre à La Comédie de Saint-Etienne. 

Ha, ha, ha !

Besoin d’un petit remontant ? Ella & Pitr vous invitent à appeler leur téléphone à blagues, au 07 84 07 61 33, pour laisser une blague sur le répondeur, ou écouter la dernière blague enregistrée !

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