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A Saint-Etienne, pourquoi le RN ne perce-t-il pas ?

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A Saint-Etienne, pourquoi le RN ne perce-t-il pas ?

A Saint-Etienne, le RN et l’extrême-droite semblent infuser moins qu’ailleurs en France. Pour preuve, les résultats des dernières législatives, ou le parti n’a pas remporté de circonscription, et n’était pas non plus en tête au 1er tour. Nous avons cherché à comprendre ce qui, dans l’ADN de la ville, fait qu’ici les digues tiennent encore. Par Niko Rodamel

Saint-Etienne, ville ou le RN ne perce pas
Saint-Etienne, ville ou le RN ne perce pas ©Niko Rodamel

La France serait un pays où progressent le déclinisme, la colère et l’attrait pour les idées de l’extrême droite. Après une première onde de choc lors de l’élection présidentielle de 2002, la sévère réplique des Européennes de juin dernier a de nouveau secoué le pays entier, avant qu’il ne retrouve un apaisement tout relatif lors du revirement des élections législatives précipitées par la dissolution de l’Assemblée nationale.

A Saint-Etienne, dans l’entre-deux tours, une tribune sonnant l’alerte et soutenant le Nouveau Front populaire était signée par 150 citoyens, artistes, universitaires, responsables associatifs… Mais avant tout, les manifestations anti-RN ont fait le plein, de manifestants, de décibels et de slogans inspirés. Dans les deux circonscriptions stéphanoises, Pierrick Courbon (Parti socialiste) et Andrée Taurinya (La France insoumise), tous deux ralliés au Nouveau Front Populaire, sont finalement arrivés largement en tête au second tour le 7 juillet. Des constats qui donneraient immédiatement envie de parler « d’exception stéphanoise », mais que le sociologue Vincent Béal* commence par nuancer : « Après une poussée du vote extrême droite dans les années 80 et 90, sa courbe est redevenue plus modérée à Saint-Etienne dans les années 2000-2010. Aujourd’hui, les scores du Rassemblement National sont importants un peu partout en France, mais Saint-Etienne reste dans la moyenne des villes de même taille. »

Mixité et vivre-ensemble

Une position « dans la moyenne », qui ne doit pas empêcher d’entrer dans le détail : la poussée de l’extrême droite est en effet moins importante à Sainté que sur l’ensemble du territoire national, et peut-être y-a-t-il à cela des raisons propres à la ville.

« Saint-Etienne est une cité composée d’une mosaïque de quartiers et de groupes sociaux, poursuit l’universitaire. Il y a donc une forme d’équilibre. Nous avons une population non négligeable de personnes âgées affectées par la trajectoire de la ville : le vote extrême droite est souvent lié à la perception que les gens ont de leur quartier ou leur ville. Les classes moyenne et supérieure à haut niveau de diplômes sont quant à elles moins importantes ici que dans d’autres grandes villes françaises comme Lyon, Strasbourg ou Nantes. En revanche, on observe clairement que dans les quartiers où vit une forte population issue de l’immigration, le vote RN est logiquement plutôt faible. »

Et, si ici les groupes sociaux sont divers, leur répartition géographique au sein de la ville semble en outre permettre une forme de mixité favorisant l’existence d’un certain vivre-ensemble : « Saint-Etienne est ainsi à la fois emblématique des villes post-industrielles dont le territoire s’est affaibli, et à la fois une cité de tous les possibles. Cette centralité populaire se manifeste aussi dans des villes comme Roubaix ou Marseille, là où la pression foncière et immobilière est faible car étrangère à toute forme de gentrification. »

Saint-Etienne : un ADN social et solidaire anti-RN ?

Si la sociologie actuelle de Saint-Etienne permet d’expliquer en partie une meilleure « résistance » au choc Rassemblement National, son histoire contemporaine y est sans doute aussi pour quelque chose. L’existence ancienne de réseaux syndicaux, très forts à une certaine époque, semble en effet avoir laissé ici une empreinte, concrétisée au quotidien par une culture de l’entraide, un esprit de solidarité, un souci de l’Autre, dans une forme de militantisme au profit de l’ensemble. « L’ADN social et solidaire de Saint-Etienne puise dans une histoire qui lui est propre. Les réseaux syndicaux se sont hybridisés avec le temps, et réorientés vers l’écologie, le développement durable, le cadre de vie ou la culture. La colline du Crêt de Roch est pour cela un exemple assez intéressant, avec de nouvelles formes de militantisme et d’actions concrètes », poursuit le sociologue.

Et, tandis que Saint-Étienne n’échappe pas à la précarité structurelle qui s’installe en France – près d’un quart de la population stéphanoise vit sous le seuil de pauvreté – un certain nombre de ces réseaux de solidarité tentent aujourd’hui de pallier aux défaillances de l’Etat. Partout dans la ville, associations et collectifs font vivre une solidarité sincère et désintéressée en portant pour la plupart, un projet plus global de transition citoyenne, prenant en compte les défis sociétaux et environnementaux.

« Briser le schéma aidant-aidé »

Au Crêt-de-Roch en effet, dans les ramifications tentaculaires de l’Amicale laïque du quartier, s’accrochent une pléiade de collectifs comme La Tablée ou Le Cri du Quartier, ou encore, Les Brigades de Solidarité. Inspiré du modèle italien, Les Brigades sont nées ici sous l’impulsion des Jeunes Communistes de la Loire et du Comité Antifa Saint-Etienne, rassemblés au sein de l’association Intercosmos. L’équipe se compose d’une quinzaine de membres actifs, qui chaque samedi matin récupèrent les invendus sur plusieurs marchés de la ville, afin de redistribuer les denrées aux personnes dans le besoin. Parmi les bénévoles, Nico, Nantais installé ici depuis quelques années et intérimaire dans le bâtiment, ou encore Halima, arrivée d’Algérie il y a 6 ans, qui, ne parvenant toujours pas à trouver d’emploi malgré de nombreux diplômes, consacre tout son temps libre à plusieurs associations.

« Nous accueillons des personnes âgées souvent isolées, des familles françaises ou venues d’ailleurs, des personnes porteuses de handicaps qui ne peuvent plus travailler, des étudiants ou encore des salariés dont le salaire ne suffit plus », explique-t-elle. Chaque mois, ce sont ainsi entre 80 et 90 foyers, qui reçoivent ce coup de pouce qui leur est offert… Sans stigmatisation : « On a à cœur de briser le classique schéma aidant-aidés, on ne fait pas la charité, on agit ensemble pour s’en sortir ensemble », précise Nico. Une manière de démontrer au passage que, face à la paupérisation des classes populaires, des moyens d’action bien différents de ceux prônés par l’extrême droite sont possibles…

Saint-Etienne, territoire moins perméable aux discours d’extrême-droite

De même qu’au rayon des empreintes laissées par la construction historique de la ville, le regard porté sur l’immigration en fait peut-être un territoire moins perméable à l’idéologie nationaliste. « Les successives vagues migratoires ont sans doute induit ici un rapport particulier à l’autre, à l’étranger qui représente une richesse et non une menace », souligne Vincent Béal à ce sujet.

Ainsi Sainté, terre d’accueil historique, abrite-t-elle nombre d’habitants engagés dans l’accompagnement de personnes exilées, par le biais d’associations, de collectifs, ou simplement par initiative personnelle. Combien, à l’image de Anne-Marie et de Michèle, bénévoles au sein de La Cimade depuis de nombreuses années, donnent ici de leur temps sans compter, accompagnant toujours plus de personnes migrantes, seules ou en famille, mais aussi toujours plus de mineurs non accompagnés ?

A Sainté, on se serre les coudes

Comme elles, combien retiennent avant tout que « c’est une richesse d’aider les autres » ? Combien, ouvrent les portes de leurs habitations à de jeunes gens nouvellement arrivés en France et sans solution d’hébergement ? En 2016, Valentin Porte créé ainsi La Maison Solidaire, rejoint par de nombreuses bonnes volontés, parmi lesquelles Fred Defour, devenue prof de FLE (Français Langue Étrangère) auprès d’enfants allophones après avoir été saisie par le sort réservé aux mineurs non accompagnés. Engagée auprès de ses élèves au-delà du temps scolaire, organisant pour eux des sorties, voire, des moments de coupure à la campagne, Fred, qui a grandi dans le quartier du Soleil, fait elle-aussi référence à l’ADN de la ville, pour expliquer son dévouement pour les personnes exilées : « Dans la maison des mines, des gens de différentes origines se mélangeaient et vivaient ensemble. C’est sans doute là qu’est née ma fibre solidaire ! »

Et, si tous les Stéphanois ne s’impliquent évidemment pas autant que Valentin, Fred, Michèle, Anne-Marie, Halima ou Nico, beaucoup voient néanmoins d’un œil positif cet engagement au profit de l’Autre. Car à Sainté, ce n’est pas nouveau, on se serre les coudes et on fait avec les moyens du bord. L’hospitalité est presque une seconde nature, comme la facilité du contact.

Lieux d’échanges

Reste que, si cette culture du vivre-ensemble, peut-être plus durablement installée ici que dans d’autres villes, a sans doute permis une percée « seulement » relative des courants d’extrême-droite aux dernières élections, elle n’en est pas moins mise à rude épreuve, quotidiennement. Dans les structures qui font vivre l’entraide, le manque de moyens entraine toujours plus de dégâts. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été contraintes de baisser le rideau ces dernières années : trois amicales laïques de quartier (Montreynaud, le Soleil, la Chaléassière), deux centres sociaux (La Dame Blanche-Jardin des Plantes, Monteferré) et la maison de quartier de Côte Chaude. L’amicale de Bizillon semble elle aussi menacée.

Début avril, un mois après son dépôt de bilan, l’amicale laïque de Beaubrun renaissait de ses cendres sous le nom Nouvelle Amicale laïque de Beaubrun. Mais pour le moment, elle ne dispose ni de financement, ni de locaux… Ce qui n’empêche pas ses instigateurs de se réunir dans les locaux de l’Union Syndicale Solidaire – entraide toujours.  « À Saint-Etienne peut-être plus qu’ailleurs, les quartiers doivent conserver leurs lieux d’échanges ouverts et gratuits, des lieux de vie en commun et de partage, affirment ainsi Didier et Corinne, très investis dans le projet.  Seule l’éducation populaire peut ouvrir les yeux face à la propagation des idées du Rassemblement National. Un autre avenir est forcément possible. »

*Vincent Béal est Docteur en science politique, chercheur et maître de conférences, co-auteur du livre Sociologie de Saint-Etienne et aujourd’hui directeur du Département d’Études Politiques et Territoriales (DEPT) à l'Université Jean-Monnet.

 

 

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