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Quel avenir pour les SMAC ?

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Quel avenir pour les SMAC ?

Au nombre de 92 sur le territoire français, les Scènes de Musiques Actuelles (SMAC) attirent près de deux millions de spectateurs par an. Fer de lance de l’émergence et vitrine de la culture décentralisée, elles se sont imposées au fil des années comme des outils indispensables pour les artistes en devenir. Mais, après de nombreuses crises successives, des attentats du Bataclan jusqu’à la période inflationniste actuelle, leurs perspectives d’avenir semblent menacées. Par Julien Haro

foule dans un concert

Un système en apparence solide, ancré dans le paysage culturel national, et puis… le vacillement. Si pendant près de vingt ans, l’organisation des Scènes de Musiques Actuelles (SMAC) a pu paraître inébranlable, elle n’a semble-t-il pas totalement résisté aux récentes crises mondiales. En 2015 déjà, après les attentats perpétrés dans la salle  parisienne du Bataclan, le réseau voit sa fréquentation fortement diminuer, la peur prenant le pas sur la découverte. Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture et de la Communication, dévoile un fonds d’aide exceptionnel pour pallier cette baisse de spectateurs, et également pour renforcer la sécurité au sein des salles. Mais quelques années plus tard, c’est au tour d’un malin virus de semer la zizanie au cœur du monde culturel. Entre confinements et interdiction de concerts debout, sans compter la panique engendrée par une maladie jusqu’alors inconnue, les salles de concerts font alors grise mine.

Dans la foulée, les pratiques culturelles se transforment, le Netflix & Chill devient roi et le public, lorsqu’il sort, veut désormais de l’exceptionnel. Cette tendance, Ludivine Ducrot, directrice de la SMAC stéphanoise Le Fil, la confirme : « En post-covid, on sent vraiment cet effet plus puissant sur les têtes d’affiche. On fait des complet sur des trucs évidents, des artistes qui sont depuis longtemps dans le paysage culturel. On le ressent vraiment en SMAC, le public est friand de grands évènements, de festivals. Il est beaucoup moins enclin à la découverte. » Plus que l’unique question du remplissage des salles, la modification des habitudes de consommation culturelle impacte les missions même des SMAC. « Le chantier est complexe pour nous. C’est notre métier de faire de la découverte et il ne faut absolument pas l’abandonner. Mais on est obligé de prendre tout ça en compte dans le montage de nos programmations. »

Les SMAC dans le piège de l’inflation

Et, alors que la période du Covid avait déjà rebattu ostensiblement les cartes des attentes des spectateurs, l’inflation est brutalement venue s’ajouter à ce contexte compliqué. En marge de la guerre en Ukraine, les prix du gaz et de l’électricité se sont mis à flamber. « L’augmentation des fluides est de loin celle dont l’impact est le plus puissant, celle qui nous a fait rentrer de plein fouet dans la crise inflationniste. On était à près de 300% d’augmentation. On avait du mal à y croire, on était sonné », poursuit Ludivine Ducrot. 

“L’augmentation des fluides nous a faits entrer de plein fouet dans la crise inflationniste”

Dans son sillage, la hausse du prix de l’énergie a tout emporté, et les frais des SMAC ont explosé. Les hausses des charges sur les frais de production, de l’hôtellerie à la restauration, en passant par les prix des équipes de ménage, de sécurité ou du matériel : tout a augmenté. Face à ce contexte, Ludivine Ducrot et le conseil d’administration de la Limace, l’association gérante du Fil, ont malgré tout pensé d’abord à leur équipe : « Il y a eu deux hausses conventionnelles de la masse salariale. De fait, ça a augmenté le salaire des permanents. Mais on a fait le choix d’augmenter aussi le salaire des techniciens parce qu’on estime qu’il faut qu’on soit équitable. Sans eux, il ne se passe rien ».

Au même titre que de nombreuses entreprises, les SMAC ont ainsi commencé à subir l’étranglement. Bien vite, Christopher Miles, administrateur de l’État à la tête de la direction générale de la création artistique, estimait ainsi que 65% des SMAC pourraient présenter un bilan déficitaire à la fin de l’année 2023. Un pourcentage très important, permettant au personnel de ces salles d’espérer un signe de la part de l’État, qu’il serait logiquement en droit d’attendre… D’autant que c’est bien l’État lui-même, qui, via le ministère de la Culture, accorde la labellisation SMAC à des structures culturelles, moyennant un certain nombre de critères à remplir.

Des salles et des territoires

En outre, les scènes de musiques actuelles remplissent aujourd’hui plusieurs missions de service public fondamentales pour le paysage musical – et plus largement culturel – français. Axant leurs programmations sur les artistes en développement, elles sont chargées par l’État de diffuser des musiques actuelles dans leur acceptation la plus large et dans toute leur diversité, mais gardent tout de même leur indépendance. De la connaissance de leur territoire, découlent de nombreuses spécificités à prendre en compte pour contenter au mieux leurs spectateurs. Mais leurs missions ne se cantonnent pas qu’à la simple diffusion : les conditions d’obtention du label Scènes de Musiques Actuelles les obligent en effet à répondre à trois engagements primordiaux : la création, la production et la diffusion de concerts, l’accompagnement des pratiques musicales professionnelles et amateures, et la réalisation d’un programme d’actions culturelles visant à rendre la culture accessible à tous. 

Ensemble, les salles labellisées construisent ainsi un maillage propice au développement artistique et donnent une visibilité indéniable aux artistes régionaux, jusqu’alors pour beaucoup orphelins de lieux de diffusion. Ce travail d’intérêt général leur ouvre le droit à des subventions de l’Etat et des collectivités territoriales, Villes, Départements et Régions. Ces nouvelles vitrines de la diversité musicale décentralisée sont donc dépendantes des aides qui leur sont prodiguées, même si elles génèrent tout de même leurs recettes propres.

SMAC : 49,3 raisons d’y croire

Ces derniers mois pourtant, certaines méthodes de gouvernement sont semble-t-il venues contrevenir à toute logique à propos de la difficile gestion des SMAC dans un contexte peu porteur. Alors que ces dernières voient leurs finances rongées par l’inflation, et qu’elles espèrent un relèvement de leur dotation pour s’extirper d’une situation plus que fragile, l’augmentation du plafond de soutien proposé en commission Culture à l’Assemblée Nationale est retoquée par l’usage du 49.3 de la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne, le 9 novembre 2023. Stupeur dans les rangs des scènes de musiques actuelles. 

 

Ludivine Ducrot se souvient : « Le 49.3 a été hyper dur pour nous. On s’est dit que l’Etat ne reconnaissait pas ce qu’on faisait, qu’on était pas du tout considéré comme un acteur majeur du territoire. On l’a vécu comme un traumatisme. » Ce traumatisme a été perçu de la même manière par les artistes ayant bénéficié de l’apport des SMAC. Théo Herrerias, du groupe stéphanois Terrenoire, le confirme : « Le 49.3 était vraiment triste. Il traduisait un oubli des territoires. Les SMAC jouent un rôle d’antenne régionale qui peut avoir beaucoup de puissance. C’est le partenaire numéro 1 pour les musiques actuelles et la musique décentralisée.»


L’émotion à ce moment là est nationale et de nombreux musiciens et employés de SMAC relaient sur le réseau social X (ex-Twitter) leurs messages de soutien aux salles accompagnés du hashtag #smacforever. L’empathie pour les SMAC est aussi partagée par les parlementaires qui montent au créneau pour soutenir les lieux culturels. Ludivine Ducrot en témoigne : « On a eu un super écho des parlementaires, ils ont vraiment compris et entendu nos difficultés. Notre député, Quentin Bataillon, est venu au Fil, il s’est vraiment intéressé au projet. ». 

Grâce à l’implication des députés et des sénateurs, une aide complémentaire de 3,68 millions d’euros sera finalement accordée en lecture définitive de la Loi Finances Publiques le 21 décembre 2024 et partagée entre les 92 SMAC du territoire.  Elle leur permettra de continuer la programmation d’artistes émergents, de garder les équipes en place, de mener des actions culturelles sur leur territoire et de faire face à la crise.

foule anonyme concert smac
©Cerise Rochet

Le Fil de l’avenir

Reste que, s’il permet aux SMAC de remporter une première bataille, ce nouveau support financier ne sera certainement pas suffisant pour pallier  tous les problèmes qu’elles rencontrent actuellement.. « Il faut continuer à se battre. Cette hausse n’est pas suffisante mais elle va nous permettre de souffler un peu. », ajoute Ludivine Ducrot. Avec un club de 250 places, une grande salle de 1200 places et trois studios, le Fil continue ses missions en regardant toujours vers l’avenir. Lou Muguet, jeune artiste stéphanoise, en atteste : « Grâce au Fil, j’ai pu prendre part à des ateliers culturels qui m’ont permis de transmettre ce que j’ai appris lors de mon parcours au Conservatoire. J’ai eu la chance de travailler avec des élèves de 5 à 97 ans. Ça m’a fait grandir en tant qu’artiste et en tant qu’être humain.».

Cette vertu de transmission, cette humanité, représentent les pierres angulaires de l’état d’esprit des SMAC. Théo Herrerias se souvient : « Le Fil, c’est un peu la maison. Ces murs nous ont toujours accueillis, même lorsque nous n’avions rien. Le Fil a toujours été un forum pour les artistes, un lieu pour échanger. C’est un point de repère pour nous, notre parcours n’aurait pas du tout été le même sans une SMAC à Saint-Etienne. »

Alors, quand on demande à Ludivine Ducrot si sacrifier l’émergence sur l’autel de la rentabilité a déjà pu être considérée comme une éventualité, sa réponse est nette et précise : « À aucun moment ! On refuse la voie d’une programmation bankable. De la même manière que nous n’avons jamais envisagé une hausse du prix des billets. On a l’intérêt général chevillé au corps. Si on perd ça, c’est un mur qui tombe. Comment va émerger la découverte ? Comment va émerger l’éclectisme musical ? Le jour où on en arrivera là, je me dis qu’on aura perdu un combat. »

Retour sur la naissance des SMAC

Après des années d’inaction, puis de balbutiements, les SMAC sont nées à la fin des 90’s, d’une volonté gouvernementale d’apporter du soutien à la diversité musicale. Alors que, durant toute la seconde moitié du XXe siècle, le jazz, le rock, le hip-hop ou les musiques électroniques ont soufflé leur vent de renouveau sur le paysage musical hexagonal, ces musiques électro amplifiées ont en effet longtemps été tenues à l’écart des lieux institutionnels, malgré leur capacité à séduire de larges publics.  Si une première mesure institutionnelle a bien été mise en œuvre avec le programme Cafés-Musiques, actif de 1991 à 1996, il faudra attendre qu’une ministre de la Culture, Catherine Trautmann, prenne enfin le taureau par les cornes pour engager un véritable processus de soutien au développement et à la reconnaissance des musiques actuelles. Ce terme institutionnel, créé par les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) au début des années 90, et regroupant en son sein la plupart des musiques utilisant des amplificateurs, sera repris tel quel par la Commission Nationale des Musiques Actuelles, qui aura lieu en décembre 1997 aux Transmusicales de Rennes. Sous l’impulsion de madame Trautmann, Alex Dutilh, journaliste spécialisé des jazz et directeur du Studio des Variétés, réunira une soixantaine de personnalités du paysage culturel afin de mettre en place une grande réflexion sur les besoins techniques et financiers d’un secteur en cruel manque de légitimité. 

Afin de donner aux musiques actuelles les moyens de leur plein développement, la commission menée par Dutihl délivre ainsi en septembre 1998 un rapport de recommandations chiffrant les besoins financiers du secteur dans une enveloppe comprise entre 250 et 300 millions de francs, soit le quintuple des aides jusque-là obtenues. Dans la foulée, au mois d’octobre, Madame Trautmann annonce débloquer la somme de 35 millions de francs pour soutenir la formation, la diffusion et la création. Dans cette optique, de nombreuses salles indépendantes ont alors bénéficié d’une subvention afin de pouvoir diffuser les artistes émergents de manière régulière et dans un cadre professionnel. Trautmann déclarera alors : « Un ensemble de lieux ouverts à la jeune création, facilitant le développement de carrières d’artistes, accueillant un public large à des conditions économiques acceptables, fondés sur un véritable projet artistique, est nécessaire au développement et à l’expression des musiques actuelles. » Naissent alors les scènes de musiques actuelles, les SMAC.

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