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Habitat participatifLong Format 

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Habitat participatifLong Format 

Par Niko Rodamel.
C’est une tendance à la fois pionnière et héritière d’une longue histoire, qui semble gagner en popularité un peu partout : combinant espaces privatifs et espaces communs, l’habitat participatif favorise la mixité sociale, le vivre ensemble, la solidarité et l’éco-responsabilité. À l’instar du coworking ou du covoiturage, mais avec l’exigence d’un investissement infiniment plus impliquant, le cohabitat est un signe fort de l’évolution des mentalités, portée par une sincère aspiration à mieux vivre en resserrant les liens humains. Une certaine conception de la vie en société, finalement assez proche de celle qu’entretiennent les défenseurs du village stéphanois.
Habitat participatif
©DR - L'équipe de Sol'en vie

Groupé, partagé ou autogéré, participatif ou collaboratif, collectif ou encore inclusif, peu importe le qualificatif : le cohabitat rassemble de nombreux concepts qui tous affirment la volonté d’un groupe de citoyens de se tourner vers le mieux vivre. Mieux vivre son chez soi, mieux vivre avec les autres, mieux vivre son quartier ou sa cité. Face au repli et à la solitude dans l’anonymat des immeubles, le mot ensemble prend ici tout son sens, car l’attente est forte : vivre ensemble pour vivre autrement, dans l’espoir de trouver des réponses à des problématiques matérielles comme à des questions existentielles. En ville, les successives périodes de confinement ont sans doute remué les consciences et ravivé chez certains l’envie de se reprendre en main : sortir des filières classiques pour se loger différemment, dans des appartements moins grands, pour mieux s’ouvrir aux autres.

L’habitat participatif donne ainsi naissance à des coopératives d’habitants et à des lieux de vie forcément innovants, très souvent multigénérationnels. On reste cependant ici très éloigné du syndrome coloc’ de L’auberge espagnole qui touche les étudiants, mais aussi à des années-lumière d’une utopie peace and love de post-soixante-huitards. Qu’il soit administré collectivement par une association ou une société dont ils sont fondateurs, adhérents ou sociétaires, l’habitat partagé et sa cogestion impliquent concertation, écoute et communication. Et la tâche n’est pas mince, elle est même immense : mutualiser les ressources pour concevoir, réaliser, financer puis faire vivre ensemble un ou des bâtiments. Plutôt que d’improviser un patchwork mal cousu, chaque projet collectif se doit d’anticiper l’équilibre général d’un puzzle qui aura du sens, d’un Meccano qui tiendra debout.

Au centre : la question écologique

Au cœur des projets de cohabitat, la question écologique est centrale : construire de façon plus raisonnée et recourir à des énergies vertes s’impose comme une évidence. L’habitat passif met en jeu un nombre important de leviers : l’orientation et l’isolation thermique de l’habitation, les matériaux les plus adaptés et des appareils ménagers économes doivent ensemble permettre d’atteindre une très basse consommation énergétique. Le refus de la spéculation immobilière, adossée à l’envie de décider par soi-même de son logement, motivent à elles seules la solution de l’autopromotion : les futurs cohabitants choisissent ensemble l’implantation des bâtiments, leur architecture, mais aussi les entreprises, les matériaux et les énergies. Comme pour les AMAP, on sélectionne dans la mesure du possible des matières premières saines et locales.

Ensemble on est plus fort

habitat participatif
©Niko Rodamel

 

À Saint-Étienne, si plusieurs projets d’habitats participatifs sont en bonne voie (Les Communs, d’abord, avec une vingtaine de foyers, Rhizomes avec un immeuble coopératif intergénérationnel), un seul est à ce jour arrivé à terme. Il y a 9 ans, sur la colline du Crêt de Roch, l’impasse Desjoyaux voit en effet sortir de terre une résidence atypique, première du genre dans notre ville. Le groupe qui porte le projet depuis plusieurs années a naturellement pris le nom de Castors, en référence aux pionniers de l’auto-construction coopérative au milieu du siècle passé. Avec le concours et l’accompagnement de l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne, le choix se porte sur le principe de la copropriété : 13 foyers s’installent dans deux bâtiments en bois qui se font face autour d’un espace végétalisé. Aujourd’hui, les habitants sont âgés de 6 à 87 ans, et ont choisi de vivre en bonne entente : Marion, Keiko, Patricia, Françoise, Pascal, Philippe, Claire, Jean-Yves, Anne et Anne, Josiane, Frank, Agnès, Matthieu, Ariane, Sylvain, Jean-Marc, Nicolette, Bernadette, Mathias et les enfants. Les grands escaliers extérieurs et les balcons donnent à l’agencement des 13 appartements des airs de centre de vacances dans les Landes.

Après quelques années d’expérience, les témoignages semblent unanimes. « Nous avons retrouvé une forme de quiétude, tout en restant très poches du centre-ville. Les interactions entre générations sont très enrichissantes. » Quelqu’un reconnaît que ce n’est pas toujours facile : « Il y a parfois des petits accrocs car tout le monde n’est pas venu ici pour les mêmes raisons. L’atelier ne fonctionne pas aussi bien qu’on le souhaiterait car au final chacun conserve ses outils chez lui. » En forme de bilan, les mots bien-être, partage et épanouissement reviennent souvent dans les bouches. « On se sent vraiment acteurs de notre habitation, mais aussi de notre quartier. »

“On se sent vraiment acteurs de notre habitation, mais aussi, de notre quartier”

Habitat participatif
©Niko Rodamel

La réunion mensuelle passe en revue tous les sujets de la copropriété, mais la salle commune connaît d’autres usages plus festifs, comme en témoigne la présence d’un coin cuisine et d’un baby-foot. Attenant, l’espace couchage et sa salle de bain permettent de recevoir du monde pour une nuit ou davantage. Dans la buanderie, du linge tourne et retourne dans les deux machines semi-industrielles. Au détour des grands étendages en bois, on tombe sur l’affichage organisationnel. Un grand agenda reçoit toutes les dates importantes pour la collectivité, des tableaux planifient et repartissent les tâches hebdomadaires d’entretien. Reliant les deux bâtiments, un long abri à vélos laisse entrevoir des récupérateurs d’eau de pluie. De l’autre côté, des dépendances. L’espace central est le terrain de jeu privilégié des enfants, mais c’est aussi ici que s’organisent de grands repas communs quand la météo le permet. Ici, pas de haie taillée au cordeau, ni de pelouse vert fluo : on tond, on taille, mais on laisse aussi un peu aller la nature. Deux fois par an, à l’automne et au printemps, une grande journée est consacrée à l’entretien des deux bâtisses et aux réparations. Tout le monde s’affaire, brouettes et échelles sont à l’œuvre, on n’hésite pas à grimper sur le toit.

Sol’En Vie : vieillir ensemble

Au sein des 13 foyers, deux ont décidé d’aller encore plus loin dans l’expérience de l’habitat collaboratif et de s’investir sur un nouveau projet. Patricia, Jean-Yves et Claire, rejoints par Marguerite et Marie-Claire, Anne et Vincent puis Chantal et Christian, partagent la même réflexion depuis 2019. « Quand la retraite arrive, on doit raisonnablement réfléchir à nos vieux jours. Nous ne souhaitons ni vieillir en EHPAD, ni être une charge pour nos enfants. » L’équipe de Sol’En Vie table ainsi sur la construction en 2025 d’un lot de 5 foyers dans le quartier Jacquard, pour une installation en 2026. La construction et le financement, non finalisés à ce jour, se feront avec des partenaires privés ou publics. En plus des petits appartements (entre 50 et 60 m2 chacun), les parties communes comprendront trois chambres supplémentaires pour les invités de passage, puis, plus tard, pour les aidants professionnels.

« Il s’agira donc de mutualiser nos moyens humains, matériels et sociaux. C’est précisément pour cette raison que le choix s’est porté sur un mode locatif. Nous pensons qu’il est préférable de ne pas être propriétaires des logements que nous occuperons, afin de les pérenniser et de ne pas avoir à les transmettre. » Un processus de cooptation a été mise en place pour recruter les ultimes résidents, dont l’âge a été fixé entre 55 à 75 ans. Chaque nouvelle recrue signe une charte dans laquelle sont définies les valeurs défendues. « Vieillir ensemble signifie que l’on s’engage à s’entraider jusqu’au bout, ce n’est pas rien. »

« Nous sommes un groupe de personnes voulant vivre et vieillir ensemble dans le cadre d’une communauté intentionnelle, au sein d’un habitat participatif, au cœur de la ville de Saint-Étienne. »

Le projet est donc cette fois-ci monogénérationnel et la communication de Sol’En Vie est on ne peut plus claire : « Nous sommes un groupe de personnes voulant vivre et vieillir ensemble dans le cadre d’une communauté intentionnelle, au sein d’un habitat participatif, au cœur de la ville de Saint-Étienne. » Bien que l’équipe préfère s’associer à un promoteur immobilier pour la construction des logements, rien n’empêchera les habitants de rester fortement impliqués dans la conception et l’organisation de leur futur cadre de vie. « Nous tâchons de bien nous préparer en amont, de prendre le temps de bien se connaître afin de lever le plus tôt possible nos barrières. Pour chaque étape importante du projet, nous sommes accompagnés par Carole Samuel, spécialiste de l’habitat participatif. »

Un peu de hauteur

Habitat participatif

Sociologue et maîtresse de Conférences en Aménagement et Urbanisme à l’Université de Caen Basse-Normandie, Camille Devaux a publié une brillante étude sur le sujet du cohabitat dans le livre L’habitat participatif, de l’initiative habitante à l’action publique (éd. Presses universitaires de Rennes). La chercheuse a notamment étudié les différents groupes d’habitants depuis leurs motivations jusqu’à leur formalisation, la structuration du réseau et du mouvement, mais aussi la nécessaire mobilisation d’acteurs institutionnels. Pour la sociologue, « L’habitat participatif, c’est d’abord l’idée de se réapproprier son habitat, de lui donner un sens (…) avec l’idée de faire partie d’un collectif sans être en communauté au sens où tout n’est pas partagé ! (…) Si chaque ménage dispose de son logement individuel, on va partager des espaces (…) et bien sûr des valeurs, d’intensité plus ou moins forte selon les projets. » Selon elle, la dimension politique des projets reste très variable. Certains adhérents sont ouvertement militants tandis que d’autres ont simplement envie d’avoir un logement confortable et de pouvoir partager des choses avec d’autres. En revanche, il faut adhérer au projet pour les bonnes raisons. Si la motivation repose uniquement sur l’objectif d’avoir un logement confortable, pas trop cher et écologique, en ne souhaitant rien vivre de concret avec les voisins, cela ne fonctionnera pas.

 

Pour autant, s’impliquer sur le long terme dans un projet d’habitat participatif ne doit pas être réservé à une certaine catégorie de population, sous prétexte par exemple que les catégories socio-professionnelles les plus aisées auraient des facilités pour prendre la parole en public, analyser, synthétiser et prendre les bonnes décisions. Bien au contraire, l’enjeu est justement là : « permettre à des gens qui n’ont pas ces facilités-là, ou pas eu la chance qu’on les leur donne, de les découvrir, de se dire « je peux quand même, c’est aussi pour moi ». »

Et après ?

Si les pionniers ont probablement appris sur le tas, la plupart des porteurs de projets se rendent aujourd’hui visite les uns les autres pour partager leurs réflexions et leurs solutions. Les organismes qui dispensent conseil et soutien se développent, en tête desquels se trouve le mouvement national Habitat Participatif France. Dans l’élaboration d’un projet d’habitat partagé, l’accompagnement parait aussi raisonnable qu’indispensable. C’est justement cette plue-value que propose Chez Moi Demain, société coopérative d’accompagnement d’habitats partagés, créée il y a 7 ans à Villeurbanne par Marie Gouttenoire et Jacques Dinguirard.

En France, le mouvement s’accélère depuis le début des années 2000 et l’on recense aujourd’hui plus de 600 projets, qu’ils soient déjà réalisés ou en cours de construction. Même à pas de tortue, la législation évolue au fil du temps, toujours un peu en retard sur l’avancée des mentalités. Le cadre juridique de l’habitat participatif a été établi par la loi ALUR (Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) en 2014. Cette loi reconnaît l’habitat participatif comme une démarche citoyenne et encadre sa mise en place. Elle définit les différents statuts juridiques possibles pour les coopératives d’habitants et les sociétés d’autopromotion. Peut-on imaginer qu’un jour, à l’image des quotas de logements sociaux, on puisse imposer aux communes la facilitation des projets d’habitat partagé ? 

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